Dans un contexte international marqué par une intensification des tensions autour du conflit ukrainien, l’émission « Ukraine-Russie : en marche vers un conflit général ? » sur la chaîne YouTube QG TV a offert une analyse pointue et souvent à contre-courant de Jacques Baud, ancien membre du renseignement stratégique suisse et fin connaisseur de la région. Face à Aude Lancelin, Baud a décrypté les récents développements, notamment la proposition ukrainienne de cessez-le-feu et les dynamiques entre les différents acteurs internationaux.
Dès l’entame, l’annonce d’une proposition ukrainienne de cessez-le-feu de 30 jours, soumise à la Russie, soulève des interrogations. Baud se montre prudent quant à l’émergence d’une paix durable . Il souligne d’emblée un élément significatif : la délégation ukrainienne ayant discuté avec les États-Unis en Arabie Saoudite était dirigée par M. Yermak, chef d’état-major de Zelensky, mais sans la présence du président ukrainien lui-même, alors qu’il était en visite dans le pays . Cette absence, conjuguée au fait que Zelensky n’avait pas été invité aux précédentes discussions entre Américains et Russes à Riyad, suggère une volonté américaine de tenir l’Europe à distance et de privilégier des négociations bilatérales .
Selon Baud, les États-Unis, bien qu’ayant annoncé un rétablissement de leur aide militaire à Kiev , souhaitent avant tout se dégager de ce conflit et pousser à des négociations directes entre la Russie et l’Ukraine3. Washington exerce une pression sur les deux parties, ayant déjà menacé la Russie de sanctions en janvier . Baud rappelle que la Russie s’est toujours montrée prête à négocier, se sentant même parfois « doublée » par les Occidentaux lors de précédentes discussions . Du côté ukrainien, Baud perçoit une réticence de Zelensky à s’asseoir à la table des négociations, privilégiant une position de force irréaliste . Il note également que les Européens semblent tout faire pour empêcher une négociation, alimentant le conflit plutôt que de chercher une solution diplomatique.
Rappelant ses précédentes analyses, Baud souligne que l’Ukraine n’a jamais eu le dessus dans ce conflit. Il cite les déclarations de Zelensky en mai-juin 2022 et du général Zaloujny en décembre 2022, reconnaissant leur dépendance totale à l’aide occidentale et la destruction de l’armée ukrainienne à plusieurs reprises. L’objectif russe, réitéré par Vladimir Poutine, est la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine, visant à retirer la menace militaire pesant sur la population russe et non à occuper le pays. Baud insiste sur le fait qu’il s’agit d’une guerre d’attrition, où le temps joue en faveur de la Russie, militairement plus fort . La prolongation du conflit ne fait qu’aggraver la situation de l’Ukraine. Baud critique l’absence d’objectif clair de la part des soutiens de l’Ukraine, se demandant ce que signifierait une victoire ukrainienne et une défaite russe.
Face au récit dominant d’une Russie expansionniste menaçant l’Europe, Baud se montre catégorique : la Russie n’a jamais exprimé de telles intentions. Il rappelle l’incohérence du discours occidental, qui présentait initialement l’armée russe comme faible avant de la dépeindre comme technologiquement avancée. Baud replace la genèse du conflit dans le contexte du décret de Zelensky de mars 2021 visant à la reconquête de la Crimée et du sud, et l’intensification des bombardements ukrainiens sur le Donbas dès la fin mars 2021. La reconnaissance par Poutine de l’indépendance des républiques du Donbas en février 2022 visait à justifier une intervention russe pour protéger ces populations .
Concernant l’inquiétude des pays baltes, Baud estime qu’elle est fondée, non pas en raison d’une volonté russe de reprise territoriale, mais en raison du traitement des minorités russes dans ces pays, où elles n’ont pas toujours les mêmes droits que les autres citoyens. Il établit un parallèle avec la situation dans le Donbas, où la question linguistique et d’autonomie était centrale. La Pologne, quant à elle, poursuit une politique étrangère axée sur la reconstitution de l’Intermarium, un projet distinct des préoccupations russes actuelles.
Baud analyse sévèrement le discours martial d’Emmanuel Macron, évoquant une politique intérieure visant à redorer son image. Il souligne le manque de moyens militaires européens sans le soutien américain et les risques d’une escalade nucléaire. L’idée d’un partage de l’arme nucléaire au niveau européen lui apparaît peu réaliste et potentiellement dangereuse, rappelant le principe de dissuasion du faible au fort et les risques de représailles directes sur le pays ayant lancé un missile.
Évoquant la possibilité d’un retrait américain de l’OTAN, Baud rappelle que l’OTAN repose sur le parapluie nucléaire américain et que son retrait la rendrait de facto obsolète. Si les États-Unis se désengageaient, une Europe de la défense pourrait émerger, mais elle nécessiterait une vision commune en matière de politique étrangère, actuellement inexistante. Baud met en lumière les priorités divergentes des États membres de l’UE. Il critique également la récupération politique interne des tensions internationales. Contrairement au récit dominant, Baud souligne que l’Europe a dépensé davantage pour l’achat de produits pétroliers russes que pour aider l’Ukraine, révélant des priorités économiques paradoxales. Il pointe également la dépendance européenne aux armements américains et la faiblesse de son propre complexe militaro-industriel.
l’Europe a dépensé davantage pour l’achat de produits pétroliers russes que pour aider l’Ukraine
Baud insiste sur le fait que la meilleure sécurité réside dans de bonnes relations avec ses voisins, y compris la Russie . Il déplore le manque de volonté de dialogue avec Moscou, citant l’argument fallacieux de ne pas faire de prime à l’agresseur . Il rappelle l’incohérence de Macron, qui prônait initialement de ne pas humilier la Russie avant d’adopter une posture belliqueuse. Selon Baud, Macron manque de crédibilité sur la scène internationale et a été exclu des négociations. Il dénonce les mensonges proférés par Macron, notamment sur la responsabilité de la rupture des accords de Minsk. Ces accords étaient un accord interne à l’Ukraine, garanti par la France, l’Allemagne et la Russie, et plusieurs dirigeants occidentaux ont reconnu n’avoir jamais eu l’intention de les appliquer, cherchant à gagner du temps pour réarmer l’Ukraine.
Face à la perspective de négociations, la Russie est en position de force et dictera ses termes. La principale inconnue réside dans la position de l’Europe, qui semble actuellement s’opposer à toute négociation, malgré les discussions en cours entre les États-Unis et l’Ukraine.
Concernant les allégations de collusion entre Washington et Moscou, Baud les relègue au rang du narratif européen, similaire au « Russia gate », totalement дискредитированный (totalement discrédité) . Il rappelle que maintenir des canaux de communication diplomatiques n’implique pas une sympathie particulière pour l’une ou l’autre partie . Baud note une différence d’approche entre l’administration Biden, marquée par une dimension personnelle et émotionnelle, et celle potentielle de Trump, qui analyserait le conflit sous un angle pragmatique et commercial, privilégiant la reconstruction de l’Amérique et considérant le front russe comme mineur par rapport à la Chine. Trump n’est pas pro-russe et a même menacé la Russie de sanctions en cas de refus de négocier . Baud contraste le manque de diversité et la pensée unique des médias français avec la vision plus large et factuelle du conflit qu’offre la presse américaine. Il déplore la crise profonde du journalisme français sur ce sujet.
Jacques Baud met en lumière la complexité du conflit ukrainien, les dynamiques souvent cachées entre les acteurs internationaux et les narratifs biaisés qui prévalent en Europe. Son expertise offre une perspective nuancée, soulignant les impasses d’une approche uniquement belliciste et la nécessité d’une analyse rationnelle pour envisager une résolution du conflit. La fin du conflit, bien que souhaitée par les États-Unis, reste incertaine et dépendra des positions de la Russie et de l’évolution de la position européenne.